41. DIEU SOIT LOUÉ ! LA GUERRE A PRIS FIN (trad) Gott Lob ! Nun ist erschollen Paix, guerre, commémoration

PAIX – GUERRE                                      N° 41
COMMÉMORATION


              DIEU SOIT LOUÉ ! LA GUERRE A PRIS FIN
              Gott Lob ! Nun ist erschollen, Pr 1653/56 

                     Ps 103 + Lamentations, ch. 1 – 3

                Mélodie: Nun lob, mein Seel, den Herren

                                             XII 7f.8, 7f.8 / 7f.6, 7f.6 / 7f.6

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  A. Dieu soit loué, la guerre a pris fin

1. Dieu soit loué! La guerre 

    A pris fin ! Voici que la paix

    Proclame en nos frontières :

    Posez les sabres, les mousquets !

    Debout, Église, chante

    À Dieu le chant nouveau,

    Compose un air, invente

    Sur les tons les plus beaux

    Un hymne au Dieu des anges ;

    Dis-lui : « Dieu, mon Sauveur,

    À toi seul la louange,        

    Le triomphe et l’honneur !

Ps. 103/1

Ps. 103/20

Lam. 3/1

Gott Lob ! Nun ist erschollen

Das edle Fried- und Freudenwort,

Dass nunmehr ruhen sollen

Die Spiess und Schwerter und ihr Mord.

Wohlauf und nimm nun wieder

Dein Saitenspiel hervor,

O Deutschland*, und sing Lieder

Im hohen vollen Chor.

Erhebe dein Gemüte

Zu deinem Gott und sprich:

Herr, deine Gnad und Güte

Bleibt dennoch ewiglich!

* heute: Kirche

2. Nous méritions la peine,

    Colère et fouet et punition,

    Car le péché, sans gêne,

    S’étendait par sa corruption.

    Dieu frappe avec justice

    De verges et de coups :

    En prenons-nous notice

    Et nous repentons-nous ?

    Nos cœurs restent de pierre,

    Fidèle seul est Dieu :

    Par lui seul peut se faire

    La paix sous tous les cieux.

Lam 3/1

Wir haben nichts verdienet

Als schwere Straf und grossen Zorn,

Weil stets noch bei uns grünet

Der freche schnöde Sündendorn;

Wir sind fürwahr geschlagen

Mit harter, scharfer Rut,

Und dennoch muss man fragen:

Wer ist, der Busse tut?

Wir sind und bleiben böse,

Gott ist und bleibet treu,

Hilft, dass sich bei uns löse

Der Krieg und sein Geschrei.

B. Les méfaits de la guerre

3. Sois bienvenue, nouvelle

    Qu’à nouveau nous avons la paix !

    La paix ! Ô paix, si belle :

    Viens, montre quel bien tu nous fais !

    En toi Dieu enveloppe

    Bonheur, joie et salut.

    Mais celui qui s’achoppe

    À toi, ne pourra plus

    Empêcher que la flèche

    L’atteigne en son plein cœur !

    Il éteindra la mèche

    De sa main, quel malheur !

Sei tausendmal willkommen

Du teure werte Friedensgab!

Jetzt sehn wir, was für Frommen

Dein Bei-uns-Wohnen in sich hab;

In dir hat Gott versenket

All unser Glück und Heil.

Wer dich betrübt und kränket,

Der drückt sich selbst den Pfeil

Des Herzleids ins das Herze

Und löscht aus Unverstand

Die güldne Freudenkerze

Mit seiner eigner Hand.

4. Rien mieux ne le démontre

    À notre esprit et à nos yeux

    Que ces murs en décombres

    Sur les montagnes, dans les creux,

    Murs noirs et sans charpente

    D’églises, de châteaux,

    Ces villes qu’on arpente,

    Sans homme et animaux,

    Ces champs semés d’épaves,

    Retournés en forêts,

    Et les tombeaux des braves

    Couchés sous les remblais.

Lam 2 /

    2, 5, 7

Lam. 1/15

Das drückt uns niemand besser

In unser Herz und Seel hinein

Als ihr zerstörten Schlösser

Und Städte voller Schutt und Stein;

Ihr vormals schönen Felder

Mit frischer Saat bestreut,

Jetzt aber lauter Wälder

Und dürre wüste Heid;

Ihr Gräber voller Leichen

Und blutgen Heldenschweiss

Der Helden, derengleichen

Auf Erden man nicht weiss.

C.  l’appel à la repentance

5.  O homme, entre en toi-même

    Regrette en ton cœur et reviens

    À ton Seigneur qui t’aime !

    Regarde et considère bien :

    Ce que Dieu vient de faire,

    L’aurais-tu oublié ?

    Il montre qu’il est Père,

    Qu’il veut te purifier,

    Hors du mal te conduire,

    Te mener au salut,

    Et dans ton cœur produire

    De beaux et nouveaux fruits !

Lam. 1/16

         2/18

Hier trübe deine Sinnen,

O Mensch, und lass die Tränenbach

Aus beiden Augen rinnen,

Geh in dein Herz und denke nach.

Was Gott bisher gesendet,

Das hast du ausgelacht,

Nun hat er sich gewendet

Und väterlich bedacht,

Vom Grimm und scharfen Dringen

Zu deinem Heil zu ruhn,

Ob er dich möchte zwingen

Mit Lieb und Gutestun (sic). 

6. Réveille-toi, ô monde,

    Ouvre les yeux, change ton cœur,

    Avant qu’à nouveau gronde

    L’horreur, la guerre et ses malheurs !

    Que garde son courage

    Qui aime Jésus-Christ !

    La paix que Christ ménage,

    C’est la paix de l’esprit.

    Ecoute l’Evangile :

    La fin est pour demain.

    Réjouis-toi, jubile,

    Le Règne n’est plus loin !

Jean 14/27

Ach, lass dich doch erwecken,

Wach auf, wach auf, du harte Welt,

Eh als das harte Schrecken

Dich schnell und plötzlich überfällt!

Wer aber Christum liebet,

Sei unerschrocknes Muts,

Der Friede, den er gibet,

Bedeutet alles Guts.

Er will die Lehre geben:

Das Ende naht herzu,

Da sollt ihr bei Gott leben

In ewgem Fried und Ruh. 

Texte :

Gott Lob ! Nun ist erschollen
Paul Gerhardt 1648,
fin de la Guerre de Trente ans
CrSi 288/98
RA 387 en 3 str., EKG 392 complet, EG deest,
fr. : Yves Kéler, 31.7.2007

Mélodie :

Nun lob, mein Seel, den Herren Ps. 103
Chez Joachim Kugelmann 1540
RA 387, EKG 392, EG 289
fr. : Bénis ton Dieu, mon âme
ABD 548


Le texte

Ce chant est un des plus remarquables hymnes à la paix qu’on puisse trouver. N’oublions pas qu’il fut composé en 1648, l’année de la fin de la Guerre de Trente ans. C’est un hymne chanté sur les ruines fumantes.

les sources

La source biblique principale sont les Lamentations, dites de Jérémie, qui sont citées dans quatre des six strophes. Gerhardt reprend les lamentations sur Jérusalem, détruite en 586 par les Babyloniens. Jérusalem devient la Sion des chrétiens, comprise comme la cité terrestre de Dieu, et Juda est l’image de l’Allemagne.

La deuxième source principale est le Psaume 103, associé au Te Deum. En effet, la 1e strophe du chant, qui proclame la paix et appelle l’Eglise à chanter un cantique à la gloire de Dieu, commence par « Gott Lob – Dieu soit loué ». Ici nous trouvons d’emblée une association avec le « Te Deum laudamus – Nous te louons Dieu », qui en ces temps était chanté par tous, protestants et catholiques, après les batailles, et surtout les victoires. L’incipit du « Te Deum  laudamus » est traduit par ce « Gott Lob ! – Dieu soit Loué ! », et nous renvoie au nom de la mélodie sur laquelle Gerhardt a construit son chant : « Nun lob, mein Seel, den Herren –Bénis ton Dieu, mon âme », le cantique de Johann Grammann 1540, qui est une forme versifiée du Ps 103: Pour ce Psaume, dans la traduction du texte biblique de 1524, Luther a employé le mot « loben –louer », contrairement au français, qui a gardé « bénir », conformément au grec « eulogè – bénis » et le latin « benedic – bénis », qui traduisent le « baraki –bénis » hébreu. De même, Luther emploie le mot « loben » pour sa traduction du Te Deum : « Te Deum laudamus – Herr Gott, dich loben wir. » Les Allemands sont restés dans la ligne de Luther, comme l’exemple de Gerhardt le montre.

les images et le style

Gerhardt emploie dans la 1e strophe une image que je n’ai pas pu rendre dans la traduction : « Sing Lieder im hohen vollen Chor – Chante des chants dans le haut et plein chœur », c’est-à-dire depuis le chœur des chantres, placés sur une tribune propre, ou bien à gauche ou à droite du chœur de l’Église. Mais, comme en français pour le mot « chœur », l’allemand « Chor » a deux sens : le chœur du lieu de culte et la chorale qui y chante. Le « haut et plein chœur » est aussi celui des anges. Nouvelle référence au Te Deum, dans lequel les hommes et les anges, comme dans le Sanctus qui y est rappelé, chantent la gloire de Dieu.

Un autre point important, dans la même strophe 1, que la traduction ne rend pas : « …O Deutschland, und sing Lieder – Ô Allemagne, et chante des chants. » La Guerre de Trente ans a été surtout une catastrophe allemande. Cette guerre de religion s’est achevée par la destruction du pays et la mort de près de la moitié de la population, « pour rien », comme dans toutes les autres guerres, et par l’annexion de l’Alsace, dès 1641, et celle de Strasbourg en 1681, au royaume de France. Mais de cette épreuve, qui a montré que dans chaque camp il y avait le meilleur et le pire, est née une certaine tolérance. Catholiques et protestants ne se sont plus affrontés avec une telle violence, et les premières ébauches d’œcuménisme apparaissent à cette époque. Quand Gerhardt appelle l’Allemagne à chanter dans le haut et plein chœur, il pense autant aux luthériens, aux réformés et aux catholiques romains qui composent le pays.

En Allemagne, le mot « Deutschland » a été conservé. Il se trouve encore dans EKG 1951, donc après la 2e Guerre mondiale. Il est regrettable que EG 1995 ait délaissé ce chef-d’œuvre, sans doute à cause des pacifistes qui ont une certaine influence dans les commissions d’hymnologie, comme j’ai pu le constater à quelques occasions. En Alsace-Lorraine, à cause du passé historique, « Deutschland » a été remplacé par « Kirche – Eglise », dans le même sens triple de tous les chrétiens d’Allemagne, mot qui a aussi deux syllabes et dont les accents tombent de la même manière. Les livres alsaciens donnent : pour AK alt 1871 n° 513 (en 3 str.) : « Christenvolk, singe Lieder – Peuple chrétien, chante des chants ». Pour AK neu 1926, n° 569 (complet) : « O Kirche, singe Lieder – Église, chante des chants », repris par RA 387. C’est le mot que j’ai employé dans ma traduction, mot qui a l’avantage d’être universel.

Dans la strophe 6, le 2e vers : « Wach auf, wach auf, du harte Welt – Réveille-toi, réveille-toi, monde dur, Avant que le dur effroi », est une allusion au chant de Johann Walter, le collaborateur de Martin Luther, daté de 1561 : « Wach auf, wach auf, du deutsches Land – Réveille-toi, réveille-toi, pays allemand. » Le chant de Walter est un appel à se laisser réformer. Gerhardt emploie cet incipit très connu pour appeler à la paix.

Dans ce passage, il emploie aussi le redoublement des mots : « Wach auf, wach auf, du harte Welt, Eh als das harte Schrecken –Réveille-toi, réveille-toi, monde dur, avant que la dure frayeur… » Gerhardt prolonge le redoublement de « Wach auf » par le redoublement de « hart – dur ». Il fait usage de ce procédé dans d’autres chants.

A la strophe 5, Gerhardt emploie une expression rare : « mit Lieb und Gutestun – avec amour et bien agir. » « Gutestun » est un substantif, formé du nom « Gutes – le bien » et du verbe « tun – faire », qui prend le sens de « faire du bien, faire le bien », au sens moral. Ce mot n’est pas dans les dictionnaires, il est une création poétique, peut-être de Gerhardt, mais sonne très bien à l’oreille.

le développement du chant

La 2e strophe est un rappel que la punition était méritée, conséquence de notre injustice. La 3e strophe reprend l’hymne à la paix et vante ses bienfaits, et conteste celui qui refuse la paix : il « s’enfonce lui-même la flèche dans le cœur », dit Gerhardt et « éteint de sa main le cierge de la joie ! »

La 4e strophe rappelle dans une description poignante les malheurs de la guerre. Je ne connais aucune strophe de cantique aussi impressionnante par son évocation puissante et vécue de l’intérieur, de plus écrite dans une aussi belle forme poétique, qui épouse en même temps la musique et son mouvement. Cette strophe est un de sommets de l’art de Gerhardt, car elle sonne juste, elle est une perle dans le joyau qu’est le poème.

La 5e strophe est un nouvel appel à la repentance de l’homme, ici le chrétien. Cette strophe a souvent été éliminée depuis le début du 19e Siècle du chant. Il est vrai qu’elle a une écriture complexe et baroque, qui la rend moins facile à comprendre que les autres. Ici l’art de Gerhardt atteint à un excès de complexité, que le vers n’arrive plus à maîtriser. C’est l’exemple d’une strophe mal démarrée, que le poète n’a pas réussi à conclure. Dans ces cas, il vaut mieux recommencer le tout, en partant sur une autre structure des rimes. De ce fait j’ai essayé dans ma traduction de ne rendre que deux points : l’oubli chez l’homme de la punition de Dieu, et chez Dieu la volonté de sauver l’homme.

La 6e strophe est un appel au monde à se convertir, afin qu’un tel malheur ne revienne pas. Il est évident qu’une ou deux générations ont vécu avec la présence et le souvenir de cette horrible guerre, dont on parle encore aujourd’hui. Comme nous, avec le souvenir de la 2e Guerre mondiale. Ce que veut Gerhardt, c’est qu’on n’oublie pas, comme cela se passe malheureusement très vite après toutes les guerres. La fin de la strophe ramène au Christ et à la vie éternelle, selon la tradition des chants de l’époque.

Le texte de Gerhardt frappe par ses nombreuses images, par son envol lyrique et par le reflet de l’expérience de la guerre. Ce cantique, rare, mérite d’être chanté lors des commémorations des guerres, ou pour le dimanche de la paix, au 3e de l’Avent.

le plan du chant

Il est caractérisé par une alternance de strophes invocatoires et solennelles, d’un ton lyrique : str. 1 : « Gott Lob ! – Dieu soit loué ! » ; str. 3 : « Sei tausendmal gegrüsset – sois mille fois bienvenue » ; 5. « Hier trübe dein Sinn – Ici trouble ton âme », et de strophes narratives, la strophe 2 portant sur le châtiment que nous avons mérité, la 4e décrivant l’état de l’Allemagne ravagée. Une strophe conclusive, invocative et solennelle, achève le tout par un appel pathétique au monde de s’éveiller et d’aller vers le Christ, qui donne la vraie paix. La perspective eschatologique ferme le chant.

La mélodie

Elle est d’un auteur inconnu et remonte à une chanson du 15e Siècle : « Weiss mir ein Blümlein blaue – Je connais une petite fleur bleue. » Elle se retrouve chez Kugelmann, en 1540, associée au texte du Psaume 103 de Johann Gramann « Nun lob, mein Seel, den Herren », dont depuis elle a pris le nom. C’est donc une mélodie ancienne de la Réforme, que Johann Rist, 1607-1677, un contemporain parfait de Gerhardt, a employée à son tour pour son chant : « Man lobt dich in der Stille – On te loue en silence », d’après le Psaume 34.

Chacun des trois chants commence par « Lob » : « Nun lob,… », « Gott Lob, … », « Man lobt... ». Il s’agit chaque fois du début du Psaume 103, comme signalé plus haut. Le Ps 103 est la source commune à ces trois chants, communauté renforcée par la mélodie qui porte le thème du Psaume. Ici à nouveau, on constate que Gerhardt combine intimement les thèmes du texte et ceux de la mélodie, en même temps qu’il se place résolument dans la tradition luthérienne.